Fonction sales dans la Tech, l’avis d’un expert

Entretien avec Hatem Sfaxi, Director of Business Development, Western Region, ADOBE

Chaque mois nous organisons dans nos locaux une rencontre avec une personne inspirante. Cela permet à toute l’équipe de s’inspirer de la réussite de business leaders, une façon très dynamique et efficace d’alimenter notre réflexion sur les valeurs clés de l’entreprise : Expertise – Persévérance – Proximité.

Nous avons récemment eu la chance de recevoir Hatem Sfaxi et nous tenons à lui adresser nos plus sincères remerciements pour ce partage riche d’enseignements. Nous sommes ravis de vous proposer une interview passionnante sur les enjeux de la fonction sales dans le monde de la technologie. Hatem a commencé sa carrière dans les opérations (responsable help desk puis informatique) avant d’évoluer vers des fonctions commerciales et managériales. Aujourd’hui Hatem est Directeur d’une équipe de 15 top BDRs et 1 Manager en Europe de l’Ouest chez Adobe, après + de 15 ans passées chez Adobe & Microsoft, deux poids lourds de la tech internationale. Un succès inspirant…

Un mot sur Adobe pour commencer. Qu’est-ce qui fait le succès d’Adobe depuis tant d’années ?

Adobe a fêté ses 40 ans l’année dernière, donc nous ne sommes pas si vieux que ça ! Et pourtant, la marque « Adobe » est très connue sur le marché et nos solutions sont reconnues par des analystes tels que Forrester et Gartner en tant que leader depuis des années.

D’abord, je pense que nos dirigeants sont des visionnaires, comme en témoigne l’inclusion de notre IA Adobe Sensei dans nos solutions depuis plus d’une décennie déjà. Et en tant que commerciaux, nous savons que nous vendons des solutions innovantes, robustes, fiables, évolutives et répondant aux véritables enjeux de nos clients. Grâce à nos investissements dans des acquisitions et la R&D, nous continuons à faire évoluer nos solutions chaque année pour rester leader !

Nos collaborateurs, et je pense que c’est le plus important, sont au cœur de notre réussite. Avec nos ressources humaines, nous accordons une grande importance à la qualité des recrutements. Par exemple, je mène quatre ou cinq étapes de recrutement pour embaucher un jeune Business Developer. Je propose des mises en situation, je n’hésite pas à les challenger, et je m’assure que nous recrutons des profils avec un potentiel d’évolution de carrière chez Adobe. Et une fois que vous êtes recruté, vous faites partie de la famille Adobe !

Nous cultivons une culture de la gagne à chaque niveau de l’entreprise. Du marketing aux ventes, du SVP au contributeur individuel, nous avançons tous dans la même direction… Notre processus de vente est très élaboré (en 7 étapes), avec des attentes à chaque étape. C’est ce qui nous permet de faire progresser les opportunités et nos équipes. Et c’est aussi ce que nos clients attendent de nous : leur proposer la bonne solution, au bon moment !

Enfin, nous sommes une véritable DATA DRIVEN company. Nous utilisons nos données partout, tout le temps, que ce soit dans nos analyses, lors des événements, ou dans nos rapports. Nos décisions sont principalement basées sur la DATA !

Adobe est une équipe de top sales experts des ventes de soft à haute valeur ajoutée, des ventes complexes dans des grandes entreprises. Quelles sont les clés de leur succès ?

Évidemment, il y a des qualités de base pour être vendeurs : L’expérience, le relationnel, l’écoute, la capacité à projeter nos clients, la capacité à vendre la valeur plutôt que la technique, la résilience, la motivation, la capacité à conclure…

Dans une entreprise de Software, peut-être un peu plus qu’ailleurs, le commercial n’est pas seulement un vendeur, il est aussi un expert en business. Il doit écouter et comprendre les enjeux de son client et lui apporter des solutions. Au final, notre objectif est très lié à l’objectif de notre client d’atteindre ses objectifs.

Le commercial est parfois même un consultant. Il donne une vision, un point de vue qui permet de prendre de la hauteur, aide à prioriser et apporter une solution par rapport à celle dont le client pensait avoir besoin.

Et puis, le commercial est aussi un chef d’orchestre. Il doit mettre la bonne cadence côté Adobe et côté client. Il doit faire en sorte qu’Adobe soit toujours en haut de la pile du client et que le planning soit partagé des deux côtés.

Personnellement, j’accorde une importance particulière à l’énergie que dégage un commercial. Car si je sais pouvoir faire monter en compétence un collaborateur sur des sujets comme la conclusion, ou la vente de valeur, il est difficile d’apprendre à quelqu’un d’être passionné et d’avoir une vraie énergie positive dans son discours !

Le commercial doit donc, et je me permets d’insister sur ce point, arrivera avec une vision, une trajectoire. Plus que la solution, les clients Adobe achètent un partenariat en se disant : « Si je m’engage avec Adobe, si je leur donne mon argent, ils vont s’engager et je sais que pendant des années, ils vont pouvoir m’accompagner ». 

2 mots sur le process de recrutement pour recruter et attirer des talents commerciaux ?

En tant que Best Workplace depuis de nombreuses années, nous avons la chance chez Adobe de recevoir un grand nombre de candidatures pour les postes que nous ouvrons.

Notre processus de recrutement comporte généralement quatre ou cinq étapes, et chaque étape peut être éliminatoire. Pour mes équipes, j’essaie de mettre en place au moins les étapes suivantes :

  • Un premier filtre effectué par notre Talent Partner RH.
  • Mon évaluation Go / NoGo.
  • Un meeting avec les équipes Marketing et/ou une réunion avec les équipes Commerciales.
  • Un panel avec mise en situation.

On essaye de rapprocher les entretiens afin que l’expérience de recrutement soit assez rapide pour les candidats. Si le panel est positif et que nous souhaitons faire une offre, les RH reprennent la main pour finaliser l’embauche du candidat.

Un mot sur la relation entre le marketing et les sales chez Adobe :

Nos équipes marketing sont déployées dans chaque pays afin d’être au plus près de nos ventes et de nos clients.

Leur rôle ne se limite pas à la simple « communication » produit, cette dimension étant prise en charge par des équipes au niveau du groupe. Au contraire, notre équipe marketing est là pour accompagner nos équipes de vente. Une collaboration étroite est ainsi entretenue entre les équipes marketing et les ventes, présentes à tous les points stratégiques du business, que ce soit lors des Kick Off Sales, des sessions d’onboarding, ou autres événements clés.

Avant chaque événement marketing, nous organisons une revue avec les équipes de vente et les BDR afin d’inviter nos clients importants, d’interagir avec les Executives, d’identifier de nouveaux besoins ou de faire progresser ceux déjà identifiés. Chaque lead généré par le marketing, que ce soit via notre site web, une campagne email ou un événement, est pris en charge par un BDR avec pour objectif de transformer ce LEAD en réel opportunité qualifiée, l’objectif ultime étant bien sûr de conclure une vente quelques mois plus tard.

Nous évaluons également le retour sur investissement (ROI) de chaque euro dépensé dans une campagne ou un événement par nos équipes marketing, pour nous assurer que ces investissements se traduisent par des opportunités commerciales concrètes. Cette analyse est suivie sur le long terme, étant donné que nos cycles de vente peuvent s’étendre sur une période allant jusqu’à 24 mois.

En termes d’outils qu’utilisez-vous ?

Nous sommes les premiers utilisateurs de nos propres solutions et nous faisons également appel à d’autres solutions disponibles sur le marché.

Le CRM constitue le cœur de notre dispositif. Son rôle crucial est de nous offrir une visibilité sur l’historique de nos clients et de nous permettre de suivre l’évolution de notre pipeline commercial ainsi que nos prévisions de vente.

Pour nos campagnes d’emails, nous utilisons notre propre solution de gestion de campagnes et de nurturing, Marketo.

En ce qui concerne l’analyse de l’engagement client, nous nous appuyons sur Adobe Analytics, complété par des outils de PowerBI. Nous sommes également des utilisateurs réguliers de PowerBI pour d’autres besoins d’analyse.

Notre site web, www.adobe.com, repose sur notre solution Adobe Experience Manager, un outil de vente extrêmement puissant qui permet à nos clients et prospects de se renseigner et d’accéder à suffisamment d’informations sans nécessairement entrer en contact direct avec un commercial, sachant que la majorité des clients se documentent sur une solution avant de contacter une marque.

Nous disposons d’une multitude d’outils de prospection pour nos BDR. (Je ne vais pas les mentionner ici afin d’éviter d’être sollicités par des concurrents de ces solutions 😉), mais nous utilisons de plus en plus des outils d’IA pour améliorer nos écrits, rechercher des informations et mieux comprendre les besoins spécifiques des différents secteurs d’activité.

Nous disposons également d’un outil de formation basé sur l’IA pour le développement des compétences de nos équipes commerciales.

Enfin, nous utilisons d’autres solutions pour diverses fonctions de l’entreprise telles que les ressources humaines, le support, etc.

L’IA justement ; quel impact auront les outils d’intelligence générative sur le travail des commerciaux BtoB en 2024 ?

Je tiens à souligner que mes BDR sont souvent de jeunes commerciaux dont l’objectif principal est de générer du Pipeline pour nos Account Executive (Account Managers). Ils ont souvent pour ambition de devenir eux-mêmes des AE/AM avec le temps.

Je leur rappelle toujours l’importance de bien connaître le client et son activité avant d’entamer une conversation. La recherche d’informations sur le client, qui est plus que cruciale, peut être extrêmement chronophage. C’est là que l’intelligence artificielle peut nous être d’une grande aide !

Par exemple, en prenant une liste de comptes et en les soumettant à un outil d’IA générative, nous pouvons demander à l’IA de trier les comptes par secteur. Pour chaque secteur, nous pouvons demander à l’IA des tendances sectorielles, une analyse du marché, une analyse concurrentielle.

Pour un compte spécifique, nous pouvons obtenir des rapports financiers, des informations sur l’organisation du Groupe, les entités générant des revenus pour l’entreprise, etc. En posant les bonnes questions, l’IA peut fournir rapidement et simplement toutes ces informations.

Nous pouvons même télécharger un rapport financier de plusieurs centaines de pages ou un plan stratégique d’une entreprise au format PDF et demander à l’assistant AI d’Acrobat de nous en faire la synthèse, puis poser des questions sur le document. L’IA est capable de résumer efficacement et on peut lui poser des questions sur le document.

Cependant, je recommande fortement de NE JAMAIS, JAMAIS, JAMAIS demander à une IA comme ChatGPT ou Copilot d’écrire un e-mail, un script ou quoi que ce soit. D’abord, je pense qu’il faut faire très attention à la confidentialité des données que vous partagez avec ces IA. Ensuite, si vous le faites, vous risquez de vous retrouver avec un e-mail qui ressemble à 99 % des e-mails envoyés par tous les commerciaux utilisant l’IA en France : « Bonjour, j’espère que vous allez bien, 90 % des décideurs disent que … blablabla … et vous, qu’en pensez-vous ? Parlons-en. » Je dis à mes BDR : « Rédigez vos e-mails et, au pire, faites-vous corriger, optimiser ou réviser par l’IA… mais rédigez-les vous-mêmes. Posez-vous les bonnes questions !?! Quelle est l’idée que vous souhaitez partager, qu’est ce qui compte vraiment, ce qui fera la différence et retiendra l’attention de votre client ?

J’ai évoqué la formation et l’entraînement avec un outil boosté à l’IA. L’intérêt d’une telle solution est de permettre au commercial de s’entraîner avec la machine. Pas besoin que moi ou les RH intervenions, le débriefing, le travail à faire, le reporting, le suivi, tout est pris en charge par la machine. En tant que manager, j’obtiens alors une note et une analyse, ce qui me permet d’avoir une vision consolidée de l’évolution des compétences de mes équipes.

L’impact de l’IA dans mon équipe est que les commerciaux gagnent en assurance quant à la correction de leurs écrits et économisent du temps dans leurs recherches et la préparation de leurs rendez-vous. Ils peuvent donc consacrer ce temps gagné à d’autres étapes du processus commercial.

Pour terminer, quels sont selon toi les défis majeurs que devront relever les entreprises tech en 2024 ?

Content que tu me poses la question car j’ai des convictions fortes sur le sujet.

La première est la nécessité que les collaborateurs retournent au bureau. Ça va faire un peu « Boomer », mais tant pis ! Quand on travaille avec une équipe étendue, tu as besoin d’échanger, de participer à des appels de dernière minute, d’avoir une cohésion d’équipe, de ressentir la tension du closing et la joie des succès.

Ensuite, pour bien comprendre ton client, il faut être présent, passer du temps avec lui. Pour identifier les opportunités, il y a des sujets qui ne se discuteront pas par mail ou lors d’une réunion, mais qui se discuteront à la machine à café ou à la cantine de ton client. Le marché français est très mature, les clients sont très sollicités. Il faut être présent physiquement chez nos clients.

Avec le succès des solutions de Generative AI, il y a un réel enjeu sur tout ce qui concerne la réglementation, l’éthique, le droit à l’image. Adobe est très engagé sur ces sujets. Les possibilités extraordinaires offertes par ces solutions ne doivent pas occulter les dangers de la désinformation, les médias, les impacts sur certains métiers du Design, sur les photographes…

Après des années d’euphorie et d’hyper-croissance de certains secteurs pendant le COVID, je crois aussi à la consolidation du secteur de la tech : éventuellement des opérations de M&A.

Le dernier sujet, et notamment dans notre secteur, c’est la diversité et l’inclusion. Ce sont des sujets qui sont importants pour moi. La parité Homme/Femme par exemple ! Nous avons la chance chez Adobe d’avoir de nombreuse femmes leaders dans notre organisation. Mais à titre personnel, dans mon équipe, je dois accélérer sur ces sujets. Et je me sens concerné parce que j’ai une fille (…). Je pense qu’il faut qu’on arrive tous à lever les barrières. J’ai la chance d’avoir dans mon équipe des femmes extraordinaires qui sont à la fois mères, femmes, et des top guns commerciales.

Un mot pour la fin ?

Je te remercie pour cette interview. Je réalise que j’avais beaucoup à dire ! J’espère que les personnes qui le liront en auront tiré quelque chose 😊.

Merci pour ton temps et pour ce partage, Hatem.

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