Fonction sales dans la Tech, l’avis d’un expert

Entretien avec Rémi Durand-Gasselin, ex-Cisco ( Managing Director, Global Services Provider).

Chaque mois nous organisons dans nos locaux  une rencontre avec une personne inspirante. Cela permet à toute l’équipe de s’inspirer de la réussite de business leaders, une façon très dynamique et efficace d’alimenter notre réflexion sur les valeurs clés de l’entreprise : Expertise – Persévérance – Proximité.

Nous avons récemment eu la chance de recevoir Rémi Durand-Gasselin et nous tenons à lui adresser nos plus sincères remerciements pour ce partage riche d’enseignements. Nous sommes ravis de vous proposer une interview passionnante sur les enjeux de la fonction sales dans le monde de la technologie. Rémi a en effet passé 17 ans chez Cisco, depuis sa sortie de l’ESCP jusqu’au poste de Managing Director, Global Services Provider. Un succès inspirant…

Peux-tu revenir sur ton parcours dans les grandes lignes ?

J’ai conscience que rester 17 ans dans la même entreprise me fait presque passer pour un original à côté de mes camarades de promotion qui ont souvent connu plusieurs employeurs. Bravo donc surtout à Cisco d’avoir su me donner les opportunités de me développer dans un secteur aussi dynamique que la fonction sales dans les entreprises de tech ! Cela en dit beaucoup sur une culture d’entreprise assez exceptionnelle je pense.

A ma sortie d’école de commerce en 2006, j’ai rejoint un programme « Sales Graduate » chez Cisco. Ce qui m’a motivé à choisir ce chemin un peu original face à mes camarades de promotion ? La révolution digitale à l’oeuvre (l’iPhone venait de sortir) qui était le coeur de métier de Cisco et le côté « compétition » du métier de la vente qui convenait parfaitement à mon tempérament sportif.  Le programme Graduate est une véritable « Académie » de la vente et de métiers des réseaux informatiques. Sa force est de créer une véritable communauté mondiale de jeunes commerciaux, j’ai la chance d’avoir un réseau de « peers » très soudé dans plus de 50 pays. J’ai ensuite eu l’opportunité d’occuper différentes fonctions commerciales dans une verticale dédiée aux opérateurs Telecom. (Numéricable, Neuf/SFR, Bouygues Telecom, puis Orange). Et j’ai fini par assumer la responsabilité de l’ensemble des équipes en charge des opérateurs français, puis pour la région Europe du Sud.

Durant ta carrière chez Cisco sur des fonctions commerciales et managériales, tu as vu passer des top guns commerciaux dans tes équipes… Qu’est-ce qui, de ton point de vue, fait la différence entre un top sales et les autres commerciaux ?

Il est un fait que la fonction commerciale n’est pas très valorisée dans notre culture business française par opposition au monde anglo-saxon où elle est vue comme absolument essentielle, voire centrale. C’est dommage car une force de vente percutante permet d’avoir un retour terrain de première qualité en avance de phase et s’avère donc être un outil précieux dans la construction de la stratégie de l’entreprise.

De plus, l’impact d’un excellent vendeur par rapport à un vendeur moyen ne se mesure pas en % mais en facteur multiplicateur ! Un mauvais vendeur dégradera l’image de marque de l’entreprise et pourra même causer de lourdes conséquences à long terme. A l’inverse, un excellent vendeur donnera l’image d’une société solide et stable car elle sait attirer et retenir les meilleurs talents.

Il y a donc quelques lignes de force propres aux meilleurs vendeurs :

  • La curiosité car l’information juste et à jour est la clé de voute de tout processus de vente.  Un excellent vendeur a une curiosité naturelle qui l’amène à se poser les bonnes questions… Aussi bien en interne (comment fonctionnent ses produits/son offre ? qui délivre ? quels sont nos enjeux financiers ?) que chez les clients (qui décide ? quels sont les enjeux ?).
  • L’envie d’apprendre et de se former car un excellent commercial se tient à la page des dernières évolutions et se forme en continu pour acquérir de nouvelles compétences (que font nos concurrents ? quelles sont les tendances de fond du marché ?).
  • Un quotient émotionnel élevé qui permet d’une part de lire entre les lignes lors d’une négociation pour comprendre qui décide réellement et identifier les vrais critères de décision ; et d’autre part de construire des relations sur le long terme avec tout l’écosystème (clients, partenaires).
  • Une résilience à toute épreuve puisqu’un cycle de vente peut parfois s’apparenter à des montagnes russes. Ne jamais se décourager face aux épreuves et croire jusqu’au bout à sa bonne étoile est donc une qualité essentielle. La tentation de baisser les bras peut parfois être forte face à un client exigent, un concurrent retors ou un processus d’achat très complexe. C’est sans surprise que certains des meilleurs vendeurs ont été ou sont toujours des sportifs de très bon niveau.

Je finirai par un disclaimer. Je vois les ventes B2B complexes comme une compétition de haut-niveau donc la notion de top-gun est relative au cours du temps. L’intensité émotionnelle assez unique du rôle fait que certains éléments personnels de la vie (maladie affectant les proches, divorce, problèmes avec ses enfants, difficultés économiques ou autres) peuvent affecter la performance du vendeur. Pour ma part, j’ai par exemple pu être extrêmement performant par moments, et beaucoup moins à d’autres. Un bon Leader sales est capable d’appréhender avec finesse ces moments pour permettre à ses vendeurs de respirer et de revenir à leur meilleur niveau.

Tu t’es mis à ton compte depuis peu et tu conseilles aujourd’hui des entreprises qui cherchent à scaler. Quelle est selon toi la clé de la réussite ?

Le plus important est de donner à chacun la possibilité de performer à titre individuel, tout en construisant un collectif soudé (« chasser » en meute!).

Vous avez certainement changé plusieurs fois d’organisation commerciale chez Cisco… Si tu montais une entreprise demain, quelle organisation commerciale (cible) mettrais-tu en place ?

Cela parait assez évident mais la meilleure organisation commerciale est celle qui « colle » le mieux à ses clients. Trop souvent les organisations finissent par être construites en fonction des « forces en présence » en interne ou de jeux de pouvoir pour savoir qui va garder la plus grosse structure. Il faut donc s’assurer d’une organisation fluide qui peut évoluer en fonction des clients (s’il y a des fusions ou des clients qui grandissent, qui disparaissent).

Quels sont les outils que tu mettrais en place tout de suite ?

  • Les outils de partage d’information et CRM sont évidemment indispensables pour collecter l’information et la conserver afin d’assurer une bonne transition entre commerciaux.
  • J’opterais également pour un processus très rigoureux de revue des Wins & Losses pour comprendre ce qui nous a permis de gagner ou les éléments qui ont joué contre nous lors d’une décision du client qui nous a été défavorable.

Continuons avec un sujet d’actualité… Quel impact auront selon toi les outils d’intelligence générative sur le travail des commerciaux BtoB en 2024 ?

Je pense que le principal apport de ces outils sera de grandement simplifier le travail parfois fastidieux et ingrat de réponse à appel d’offre ou de rédaction d’offres commerciales. Cela représente une part non négligeable du travail. Ces outils seront également d’une aide précieuse dans la collecte d’informations qui est vitale comme je l’ai dit plus haut. Enfin, le dialogue avec l’IA permettra certainement d’apporter des idées créatives pour déboucher sur des stratégies originales, « out of the box », auxquelles les commerciaux n’auront pas forcément pensé.

Et pour conclure, quels seront d’après toi les principaux défis à relever dans les années à venir pour les entreprises tech ?

Le défi numéro 1 sera sans nul doute celui du turn-over des commerciaux. Comment conserver et développer les meilleurs talents dans un secteur aussi dynamique et concurrentiel. Tous les moyens sont bons et il faudra une bonne dose de créativité pour éviter de tomber dans la surenchère salariale. Ensuite, il faudra certainement réinventer les process pour mieux prendre en compte les apports de l’IA dans les exercices de forecasting ou de business planning.

Vous allez aimer ces autres articles